Rencontre avec
Daisuke Igarashi


Date : 27 janvier 2008


Invité :
    - Daisuke Igarashi [1]
assisté de Wladimir Labaere (Casterman) pour la traduction


Animateur : Julien Bastide


La lecture des interviews réalisées par Du9
et par Mata-web à l'occasion du Festival est
conseillée en complément de ce compte-rendu.



Sur la photo, de gauche à droite :
Wladimir Labaere, Daisuke Igarashi et Julien Bastide.


En introduction, J.B. présentait rapidement les œuvres traduites en France de D.I. (chez Sakka-Casterman) : Hanashippanashi, Sorcières et Petite Forêt. [2] Puis il expliquait que D.I. est un dessinateur « extraordinaire », qui représente particulièrement bien la nature. Enfin, il soulignait son parcours assez particulier. En effet D.I. s'est consacré à l'agriculture pendant plusieurs années de sa carrière : il a effectué un véritable « retour à la nature ».

Sommaire :
     1. J.B. - Le parcours de D.I. / la Nature
     2. J.B. - D.I. et le dessin
     3. Public - Un fan interroge D.I.
     4. Public - La suite

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J.B. lançait donc la rencontre sur le sujet du parcours (qu'il qualifiait d') « hors-norme » de D.I.. Il lui demandait s'il était un ancien agriculteur et pour quelles raisons il avait effectué un retour à la nature.
D.I. répondait qu'il est en fait né et a été élevé en ville, [3] où vivre à proximité de la nature était difficile. Il s'est ensuite rapproché de la nature lors de ses voyages, notamment à Okinawa. Il s'est alors rendu compte que les gens de la campagne fabriquent eux-mêmes leur nourriture et leurs vêtements. Il a trouvé cela très intéressant et a voulu essayer.

J.B. lui demandait alors si son retour à la nature était un cas isolé.
D.I. racontait avoir vécu plusieurs années à la campagne puis être revenu en ville. C'était sa volonté personnelle d'essayer ce mode de vie. Peut-être que les autres personnes à avoir tenté l'expérience avaient les mêmes motivations.
Il expliquait ensuite qu'en zone urbaine, tout est fabriqué par l'homme, même la végétation. Alors qu'en forêt ou face à la mer, on se retrouve confronté à un environnement qui n'a pas connu la main de l'homme. Cela peut aussi attirer des gens vers la nature.
Il ajoutait qu'au Japon, et ailleurs, on évolue dans un monde de plus en plus complexe, régulé, codifié. Certains personnes peuvent alors avoir des difficultés pour trouver leur place. S'extraire de cet environnement, pour aller vers la nature, peut alors être salutaire.

J.B affirmait ensuite qu'en France la nature est très modelée par l'homme. Un véritable "retour à la nature" est donc assez illusoire. Il demandait à D.I. ce qu'il en est au Japon.
D.I. reconnaissait alors le caractère un peu illusoire d'un retour à la nature. Mais il expliquait que bien avant l'apparition de la civilisation, l'Homme entretenait une relation avec la nature. Relation qui s'est étiolée avec le désir de l'Homme de contrôler son environnement. Le retour à la nature est surtout un désir de retrouver cette connexion.
J.B. réagissait en demandant à D.I. s'il n'avait pas « trop regardé Totoro ».
D.I. répondait alors avec humour qu'il aimait bien sûr beaucoup Mon Voisin Totoro. Il expliquait ensuite que ce film est une de ses grandes influences et qu'il y puise encore beaucoup, plus particulièrement dans les sensations qu'il procure et dans sa manière de rendre / représenter la nature.

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J.B. proposait alors de parler de dessin. Il évoquait le style fouillé et détaillé de D.I.. Il le qualifiait d'étonnant et de finalement plutôt européen. Il demandait donc à D.I s'il connaissait la bande dessinée européenne.
D.I. expliquait alors qu'il était bien sûr intéressé par les bandes dessinées d'autres pays que le Japon. Malheureusement, quand il a commencé à dessiner des mangas, il n'avait pas encore rencontré la bande dessinée étrangère.
Il racontait ensuite qu'enfant, il lisait du "Story Manga". [4] Ce qui l'a poussé à faire du manga ce n'était en fait pas seulement l'envie de raconter / dessiner des histoires, mais surtout de rendre / transmettre des émotions. Il précisait que lorsqu'il a commencé Hanashippanashi, il n'avait pas la volonté du faire spécifiquement du manga. C'est juste que la meilleure manière de rendre ses émotions en a pris la forme.

J.B. lui demandait alors quelle a été sa formation artistique.
D.I. répondait avoir fait les Beaux-Arts [5] où il avait étudié la peinture à l'huile. Il expliquait avoir peint de nombreux de tableaux, mais s'être rendu compte que ce n'était pas le moyen d'expression lui correspondant le mieux. Il est bien conscient qu'on peut exprimer beaucoup avec une peinture, mais ce n'est pas pour lui.
Et c'est en réfléchissant au moyen de rendre ses émotions qu'il est arrivé à la conclusion que ce qui lui correspondait, ce sont des images enchaînées, avec une évolution entre elles.

J.B. proposait alors d'oublier le médium bande dessinée et de juste parler de dessin. Il demandait à D.I. s'il avait dû désapprendre la peinture (notamment l'utilisation des couleurs) pour ré-apprendre le dessin.
D.I. précisait que la peinture à l'huile n'était que le point central de sa formation aux Beaux-Arts. Il
pratiquait, et aimait, aussi le dessin à l'encre ou au stylo. Il expliquait ensuite que même si Hanashippanashi (son premier manga publié) était en noir et blanc, il a toujours fait confiance aux lecteurs pour imaginer les couleurs, voire les odeurs et les sons. Il concluait en affirmant qu'il s'agit en fait d'une sorte de création poétique car il laisse travailler l'imagination de ses lecteurs.

J.B. passait alors la parole au public...

retourner au sommaire Public - Un fan interroge D.I.

Les premières questions étaient en fait posées pas un spectateur manifestement connaisseur, et fan, des œuvres de D.I..
Il commençait par lui demander pourquoi il était allée vivre à la campagne.
D.I. répétait tout d'abord que cela avait été un choix de sa part. Il expliquait ensuite que dans son mode de vie actuel, il déménage tous les trois à quatre ans. En fait, lorsqu'il a effectué son premier voyage, il a beaucoup apprécié ce mode de vie en quelque sorte nomade. Il a donc décidé de déménager souvent. L'avantage (de vivre quelque part plusieurs années puis d'en partir), est de pouvoir rester plus longtemps que lors d'un voyage qui dure de un à trois mois, et donc d'aller au fond des choses. D.I. ajoutait une autre raison à ce mode de vie « semi-nomade » : le Japon est un pays très étendu avec des saisons et des environnements très divers, qu'il n'a pas envie de rater. Et il ne s'agit pas seulement de la nature, mais aussi des villes, des modes de vie des habitants... Donc plutôt que de juste passer quelques jours (en voyage) à un endroit, il préfère y rester plusieurs années pour approfondir. Mais justement, même en demeurant si longtemps en place, il a toujours l'impression d'être en voyage, seulement des voyages « longs ».
Le fan demandait alors si ces « voyages » avaient toujours lieu au Japon.
D.I. répondait que c'était pour l'instant le cas. En fait sa venue à Angoulême constitue son premier voyage en Europe. Il affirmait toutefois que même en se déplaçant au Japon, il peut avoir l'impression d'être à l'étranger. Par exemple en allant à Okinawa [6] où il a trouvé très divertissant de passer du temps.
Il racontait alors qu'après avoir visité l'extrême sud de l'archipel (Okinawa donc), il est allé au nord du Japon. [7] Là-bas il a en fait vécu dans un village de montagne. Par la suite, il est revenu en ville, et maintenant il envisage d'aller habiter au bord de la mer. [8]
Manifestement étonné par ses déplacements, le fan lui demandait s'il avait d'autres sources de revenu que le manga.
D.I. répondait que non, qu'il était exclusivement mangaka. Il précisait toutefois que lorsqu'il vivait à la campagne, il participait aux travaux des champs, pas pour l'argent, mais pour la nourriture.
Le fan l'interrogeait alors sur le fait qu'il ait pu tenir le rythme de publication de ses mangas, malgré / en plus de ses occupations agricoles.
D.I. expliquait donc qu'avant de déménager à la campagne, il n'était pas un auteur très productif. Ses mangas ne se vendaient pas. Il avait donc du temps libre (car pas beaucoup de propositions de travail), et il a pensé qu'il pouvait le mettre à profit. Il racontait alors qu'une fois installé dans un village de montagne, il s'était étrangement retrouvé avec plein de travail. [9] Et cela a été très douloureux pour lui. Il précisait alors être revenu en ville [10] pour changer d'environnement, mais aussi pour des raisons professionnelles. En effet, cumuler le travail aux champs et la production de mangas faisait trop. D.I. précisait avoir même pensé arrêter le manga, mais il a finalement décider de continuer car il avait trop de choses à exprimer. Toutefois il concluait que si un jour il connaît un succès suffisant, il se consacrera au travail de la terre.

Le fan questionnait ensuite D.I. sur Soratobi Tamashii, un receuil de nouvelles non traduit en France.
D.I. expliquait que Hanashippanashi a été sa première œuvre. Mais elle ne s'est pas vendue. Soratobi Tamashii est donc sa deuxième œuvre. Elle s'est mieux vendue et Hanashippanashi a été reprise chez un autre éditeur. [11]

Le fan continuait en interrogeant D.I. sur un élément graphique récurrent de ses livres : l'image de la Terre dans l'œil d'un chat ou d'un chien.
D.I. affirmait alors que placer la Terre, comme vue de l'espace, dans l'œil d'un chat ou d'un chien montre la connexion intime entre les choses / créatures. C'est un thème très important pour lui et il va essayer de l'approfondir.
Le fan enchaînait en demandant si cet élément avait une relation avec le bouddhisme et/ou le shintoïsme.
D.I. répondait que si relation il y a, elle est sans doute inconsciente. Il a l'impression d'avoir toujours porté cette image en lui. Elle vient de son expérience personnelle et il ne s'est pas penché sur sa possible signification religieuse.

Toujours le même fan finissant sa longue série de questions en demandant à D.I. s'il connaissait la série Mushishi.
D.I. répondait que oui. Il expliquait qu'en fait Yuki Urushibara, l'auteure de Mushishi, aime beaucoup ses œuvres, ce dont il tire un grand honneur.

Ce fan revenait toutefois à la charge pour une ultime question à la toute fin de la rencontre. Il questionnait D.I. sur l'origine des visions oniriques qui reviennent régulièrement dans son œuvre.
D.I. expliquait alors que l'idée principale de Hanashippanashi était de dessiner des paysages qu'il avait vus. En fait, il voulait retranscrire les émotions qu'il avait éprouvées à la vue de ces paysages. C'est l'origine des créatures de Hanashippanashi : il s'agit de l'essence de ses émotions. Il a pensé que c'était le meilleur moyen pour les transmettre.

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Une autre personne du public intervenait (enfin), demandant à D.I. de parler de son découpage et de ses influences.
D.I. expliquait qu'il ne réfléchit pas vraiment à l'élaboration d'une trame narrative. Il est plus intéressé par rendre un flux d'émotions, de sensations, que par raconter une histoire. C'est surtout visible dans Hanashippanashi. Après, il s'est rendu compte que le manque d'histoire pouvait rendre certaines choses plus difficiles à exprimer. Il a donc commencé à faire des histoires plus longues. [12] En fait pour lui, c'est rendre les émotions qui l'habite qui est vraiment primordial. On peut donc lui reprocher que la narration ne soit pas son fort. Mais cela lui fait un défi à relever (pour s'améliorer).
En ce qui concerne ses influences, D.I. disait ne pas en avoir de particulière. Il s'agit de tous les mangas, contes, romans etc. qu'il a lus.

Une autre personne intervenait alors pour demander à D.I. si ses livres sont une incitation pour que les gens retournent à la nature.
D.I. répondait qu'il ne prêche pas le retour à la campagne pour tous. Mais il pense que quand on est en ville, il existe des choses qu'on ne peut pas voir. Il racontait alors que lorsqu'il était enfant, il croyait que les aliments sortaient des magasins. C'est plus tard qu'il s'est rendu compte que des gens les faisaient en fait pousser, ou bien fabriquaient les vêtements. Selon lui, fabriquer une chose est bien plus intéressant que l'acheter. Pour conlure, bien que vivre à la campagne ne soit pas une partie de plaisir, si l'enrichissement personnel est à ce prix, il pense qu'il faut le faire.

J.B. reprenait alors la parole et affirmait que les histoires de D.I. ont un vrai impact. Après leur lecture, il a envie d'aller traquer la nature en ville.
D.I. répondait que c'est un grand compliment. Il expliquait qu'il se contente d'essayer de transmettre sa vision du monde. Que cette vision rencontre un écho chez ses lecteurs est donc ce qui peut arriver de mieux.

J.B. tentait alors un rapprochement avec Survivant de Takao Saito. [13] Il expliquait que Saito a crée Survivant (un récit de survie dans une nature hostile après une catastrophe) en 1976 parce qu'il pensait que les jeunes japonais avaient perdu leur relation avec la nature (et seraient donc incapables d'y survivre). J.B. pensait voir un lien entre les préoccupations de Saito et de D.I., pourtant séparés par une génération. [14]
D.I. ne connaissant pas Survivant, sa réponse tournait court, malgrè une intervention de Wladimir Labaere pour lui présenter l' œuvre. Il précisant toutefois avoir été fortement marqué par l'utilisation des plantes médicinales lorsqu'il vivait à la campagne. Il trouve dommage que les personnes versées dans cet art aient pu être peu à peu tournées en ridicule.

par Mathieu LAGREZE


[1] son blog/site personnel (en japonais), sa fiche Wikipedia (en japonais), sa fiche sur le site de Sakka qui édite actuellement ses œuvres en France.

[2] Quelques chroniques des œuvres de D.I. (dans l'ordre de parution en France) :
    - Hanashippanashi chez Mangavoraces;
    - Sorcières chez Mangavoraces;
    - Petite Forêt chez Mangavoraces et Du9.

[3] en fait à Saitama, dans la banlieue nord de Tokyo.

[4] style de manga de divertissement pour les jeunes initié par Tezuka dans les années 50. Le Gekiga, le manga "adulte" et plus réaliste, se pose en opposition à ce "Story Manga".

[5] Selon Wikipédia à la Tama Art University de Tokyo.

[6] Okinawa est un archipel situé au sud des quatre îles centrales japonaises. Situées en zone subtropicale, il jouit d'un climat extrêmement clément qui en fait un haut lieu touristique. De plus il se démarque fortement du reste du Japon par sa culture.

[7] Il est en fait parti résider au nord de Honshu, l'île principale de l'archipel, dans la Préfecture d'Iwate.

[8] La mer étant le sujet de sa dernière série, actuellement en cours, Kaijuu no Kodomo.

[9] On peut supposer qu'il fait référence à une période aux alentours de 2003. En effet à partir de cette date, il publie Little Forest dans le mensuel Afternoon, des pages pour Animal Paradise, plus une douzaine d'histoires courtes (dont quatre constituent Sorcières et une figure dans l'anthologie Japon) jusqu'en 2005-2006.

[10] J'avoue ne pas avoir réussi à identifier cette « ville ». Wikipédia laisse plutôt supposer qu'il est revenu à Morioka qui est la capitale (d'environ 300000 habitants) de la Préfecture d'Iwate. La biographie figurant dans ses livres en français affirme qu'il est revenu à Tokyo avant de commencer Sorcières.

[11] Les deux volumes d'Hanashippanashi regroupent ses premières nouvelles publiées de 1994 à 1996 dans le mensuel Afternoon de Kodansha. Les deux volumes, alors épuisés, on été ré-édités en 2004 chez Kawade Shobô Shinsha.
Soratobi Tamashii receuille des histoires courtes parues entre 1998 et 2002 dans Afternoon et Morning (de Kodansha). La nouvelle avec laquelle D.I. a gagné le concours d' Afternoon en 1993, qui fut donc sa première histoire publiée en tant que mangaka, y figure également.

[12] Hanashippanashi (1994-1996) est en effet constituée d'histoires très courtes, d'une dizaine de pages en général, la plus longue faisant moins de trente planches. De même Little Forest (2002-2005) est composée de courts chapitres d'environ dix pages. Sorcières (2003-2005), par contre, rassemble de longues histoires, d'une centaine de pages, la plus courte en comptant cinquante-six. Et Kaijuu no Kodomo, entamée en 2007, est une série en feuilleton mensuel classique, qui compte déjà vingt-cinq chapitres (et deux tomes reliés).

[13] Edité en France chez Kanko. Takao Saito est aussi et surtout l'auteur de Golgo 13.

[14] D.I. étant né en 1969.


Remerciements : Hervé et Manu pour les relectures; Du9 pour les idées de mise en page; Manu (encore) et L.T. pour l'aide avec HTML et CSS; Hervé (encore) pour les photos; Google...

Avertissement : le compte-rendu ci-dessus est issu de mes souvenirs et notes de la conférence. De plus, les échanges ont été passés au travers de traductions français <-> japonais. Même si il se veut le plus fidèle possible, il n'est vraisemblablement ni exact, ni complet à 100% . N'hésitez pas à me signaler toute erreur ou oubli !
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Crée le 22/05/2008 - Mis à jour le 17/06/2009
Contact : Mathieu LAGREZE